Parole d’entrepreneure : Laure Le Douarec, fondatrice de Sen

Parole d’entrepreneure : Laure Le Douarec, fondatrice de Sen

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer quel est votre métier ?

Je suis une médecin sans frontière ratée ! Quand j’étais plus jeune, je voulais sauver des vies, notamment dans les pays en voie de développement. Mais comme je tombais toujours dans les pommes à la vue de la moindre goutte de sang en Terminale, j’ai dû me rendre à l’évidence que ce n’était pas fait pour moi. C’est donc un peu par hasard que je suis entrée à Sciences Po, et par élimination que je me suis spécialisée dans les ressources humaines. Finalement, cela me convenait très bien et correspondait à mon élan profond : prendre soin des gens, et des relations entre les gens.

Après mes études, j’ai travaillé plus de 10 ans dans les ressources humaines en Angleterre, aux Etats-Unis puis en France, dans de grands groupes et des cabinets de conseil. Au retour de mon 3ème congé maternité, alors que j’étais directrice Diversité chez Schneider Electric, le PDG a annoncé qu’il souhaitait atteindre 30% de femmes d’ici 3 ans suite à une interpellation en public qu’il avait subie. Alors que je suis profondément féministe, je lui ai expliqué qu’au vu du secteur dans lequel nous étions et de là d’où nous partions, cet objectif n’était pas réaliste et risquait de nuire à notre politique diversité. Il a supprimé mon poste. Cette nouvelle « claque » a été celle de trop et m’a permis de me rendre compte que je n’avais pas assez de liberté dans le salariat. Me lancer dans l’entrepreneuriat m’a permis de rétablir un équilibre entre prendre soin de mes enfants, avoir du temps pour méditer, prendre du recul et regarder ce qui se passe autour de moi. La valeur ajoutée que j’apporte dans mon métier étant cette capacité de recul et de profondeur, cela ne fait plus sens si je vais moi-même à 100 à l’heure dans un monde qui va – à mon sens – déjà beaucoup trop vite. L’entrepreneuriat me permet d’avoir une façon d’être congruente avec ce que je prône et j’apporte à mes clients.

 

 

Comment êtes-vous devenue entrepreneure ?

J’ai mis du temps à accepter l’idée que je pouvais devenir entrepreneure car pour moi, un entrepreneur devait savoir se vendre, réseauter, se mettre en avant… autant de facettes qui ne me correspondent absolument pas. J’ai donc démarré avec une amie qui s’occupait de la partie prospection mais, financièrement parlant, je ne m’y retrouvais pas. J’ai ensuite poursuivi seule et j’ai assez vite réalisé que j’avais une façon de tisser des liens et d’acquérir des clients qui m’était propre et qui fonctionnait.

Me vendre en tant que tel ne me correspond pas, je ne sais pas le faire d’ailleurs. En revanche, je suis très à l’aise dans l’écoute, à tisser des liens profonds, sincères, en toute authenticité. Ce sont essentiellement mes clients qui me recommandent et me font entrer chez de nouveaux clients. Ou la poursuite de mes engagements, qui m’amène de nouveaux liens féconds. Par exemple, j’ai animé bénévolement, un forum ouvert pour 250 personnes pour le mouvement chrétien des cadres sur les Communs, et j’ai récolté suite à cette intervention, des sollicitations, alors que ma démarche était de servir et absolument pas orientée dans un but de prospection. Les gens ont senti un engagement réel de ma part et m’ont ensuite sollicitée pour des missions qui ont du sens.

Naturellement, j’ai la chance de ne pas être dépensière. Consciemment, j’essaye de développer une approche frugale de la vie. Cela augmente ma liberté dans le choix de mes clients et dans l’affirmation de mes conditions d’intervention, tarifaires notamment, et de mes compétences.

 

 

Qu’apportez-vous à vos clients ?

J’ai développé plusieurs cordes à mon arc avec le temps. La première a été la diversité et l’inclusion qui était un thème précurseur, il y a 20 ans, lorsque je m’y suis intéressée. Concrètement, c’est la capacité à identifier et faire s’exprimer la diversité qui est présente et à aller chercher celle qui manque à l’intérieur des individus présents et à l’extérieur du système. Ma deuxième corde se situe autour de l’intelligence collective. Cela consiste à donner sa place à l’individu pour qu’il exprime tout son talent au service du groupe, à remettre une interaction plus intelligente entre l’individu et le groupe pour que les deux soient gagnants et épanouis. Le dialogue est la méthode fondamentale que j’utilise pour permettre de se rencontrer en profondeur, alors que nous vivons dans un monde de superficialité. Mon but est d’aider les individus et les systèmes mais aussi d’aider le monde à aller dans une direction plus saine.

 

 

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d’être entrepreneure ?

Je pense que c’est en tant qu’entrepreneure que je peux avoir le meilleur impact sur le monde. Ça m’émeut beaucoup de dire ça, car je m’en rends compte en le disant. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours dit que je voulais changer le monde. J’ai cru que je pourrais y arriver au sein de grandes organisations. Or, les systèmes y sont tellement verrouillés et créent tellement de souffrances que j’ai vu, au bout d’un moment, que je n’allais pas dans la bonne direction.

L’entrepreneuriat comporte son lot d’inquiétudes. Je ne surprendrai personne en le disant. Mais pour moi, l’entrepreneuriat me donne surtout la liberté d’être plus à l’écoute de moi et du monde en général, pour sentir l’intervention juste. Il m’aide à discerner ce qui doit changer, évoluer, sans être enfermée dans les systèmes établis.

 

 

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez à faire face ?

Je trouve que le plus difficile est de trouver le prix juste auquel vendre mes prestations. Par « prix juste », j’entends un prix qui soit suffisamment élevé pour que les clients se sentent engagés et se mettent en mouvement, que je puisse en vivre, tout en ne me coupant pas d’organisations qui ont vraiment besoin de moi.  Je suis tellement passionnée par les sujets et les missions que mes clients me proposent que j’ai souvent envie de le faire bénévolement. Or je me suis rendu compte que ce qui ne se paye pas n’a pas de valeur, et que, lorsqu’elles sont bénévoles, mes interventions ont moins d’impact. Aussi, j’ai acquis la conviction que, même au niveau associatif, il faut que chacun apporte une contribution financière qui soit à la hauteur de ses moyens.

A l’opposé, être ferme sur mes tarifs pourrait m’enfermer avec pour clients uniquement de grandes entreprises qui ont les moyens, celles justement que j’ai choisi de quitter car elles sont verrouillées, au détriment de plus petites structures, qui correspondent mieux à mes valeurs. Je dois donc trouver le juste équilibre, c’est un ajustement perpétuel.

 

Quelle est votre stratégie de développement, comment a-t-elle évolué avec le temps ?

En me lançant à mon compte, je ne voulais surtout pas adopter la posture de certains consultants qui font en sorte de se rendre indispensables dans les entreprises pour pouvoir y rester le plus longtemps possible. Mon approche, au contraire, vise à rendre mes clients autonomes, leur donner les outils pour qu’ils puissent avancer seuls par la suite. Cela nécessite donc de trouver sans cesse de nouveaux clients, ce qui est un comble pour un profil comme le mien qui ne se définit pas comme « commercial » ! Pourtant, ça fonctionne : les clients viennent vers moi par le bouche-à-oreille.

 

Vous avez abordé la notion de frugalité qui est assez antinomique avec l’image « classique » de l’entrepreneur, toujours en recherche de croissance. Pouvez-vous nous expliquer cette notion ?

Je ne crois pas à la croissance à tout prix. J’ai eu récemment le cas d’une cliente qui a investi à tout-va, qui s’est surendettée et qui était en train d’étrangler son business. Je l’ai simplement aidée à se demander si elle avait besoin de toute cette croissance. C’est lorsqu’elle a pris le temps de se poser qu’elle a pu faire le ménage dans son businesset rembourser ses dettes (pourtant conséquentes au point que sa banque ne voulait plus lui financer de fond de roulement) en quelques mois.

Mes grands-parents m’ont transmis cette approche mesurée de la vie. Ils étaient issus du milieu ouvrier, faisaient attention à tout et recyclaient par manque de moyens. J’ai coutume de dire que ce sont mes champions de l’écologie. J’essaye d’être centrée sur mes vrais besoins, de limiter mes dépenses fixes, de procéder à des investissements mesurés. Cela ne veut pas dire que je me freine lorsque j’ai envie de me former sur un sujet ou d’investir sur de nouveaux outils par exemple. Mais mon but n’est pas d’investir coûte que coûte, pour « croître ».  Je me développe en faisant des choses qui ont du sens d’une façon congruente.

Cette recherche de cohérence entre mes convictions, mon mode de vie et ce que je prône auprès de mes clients nous a conduits, avec ma famille, à venir nous installer en Bretagne. Nous nous sentions trop enfermés à Paris et trop éloignés de la nature. Cette envie de reconnexion à la nature nous a poussés à nous installer dans un lieu où nous pouvons pratiquer la permaculture, les circuits courts, vivre plus sobrement, et également recevoir mes clients, un lieu qui favorise la réflexion en profondeur et la prise de recul pour se transformer. Je suis aujourd’hui plus alignée dans ma façon de vivre même s’il subsiste bien sûr de nombreuses imperfections et incohérences.

 

Si vous deviez donner un conseil à quelqu’un qui doit se lancer ?

La phrase qui me vient à l’esprit est « N’aie pas peur ! ». Moi j’ai eu peur pendant si longtemps pour me lancer…. J’ai acquis la conviction que la vie prend soin de nous. Si on écoute sa voix intérieure, on trouve sa place.

 

Nous vous invitons à suivre Laure sur le site web de Sen ou via son compte Linkedin.