Parole d’entrepreneure : Anne Gallet, fondatrice d’Aticeo

Parole d’entrepreneure : Anne Gallet, fondatrice d’Aticeo

Quel est votre métier ?

Au sein de mon entreprise, Aticeo, je fais du conseil financier dans deux domaines : les fusions-acquisitions internationales et les levées de fonds pour des sociétés de gestion.  Au-delà de ces deux métiers de conseil, nous nous faisons également plaisir en étant « investisseurs d’impact ». Ce sont des métiers à la fois humains et techniques, avec un angle franco-espagnol très fort puisque je suis basée à Barcelone tout en travaillant beaucoup avec la France. Depuis la création d’Aticeo, nous creusons un sillon sur le secteur de l’ed-tech, c’est-à-dire le secteur de l’éducation intégrant de la tech, qui est en très fort développement. Notre deuxième secteur de prédilection est lié à la nutrition saine. Notre troisième secteur concerne le passion business, c’est-à-dire comment transformer ce qui au départ est un loisir ou une passion en un métier.

 

 

Comment êtes vous devenue entrepreneure ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d’être entrepreneure ?

J’ai suivi un parcours classique à la sortie d’HEC, en commençant ma carrière dans l’inspection générale en banque, puis en financement d’acquisitions. Je suis ensuite partie à Londres où j’ai occupé des fonctions commerciales et de fusion-acquisitions avec des fonds d’investissement, puis des fonctions d’investissement pour compte propre sur le bilan de la banque [en gérant une allocation de 250 millions d’euros]. En arrivant en Espagne, je travaille dans une boutique de fusions-acquisitions puis, dès 2015, chez Suma Capital, un fonds d’investissement espagnol au sein duquel je développe les relations avec les investisseurs étrangers. Cette expérience me permet d’apprendre beaucoup, mais ne me permet pas d’avoir une activité d’investissement pour compte propre, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêt.

Or, à ce moment, j’ai vraiment envie de continuer à exercer les 3 métiers que j’ai appris à exercer pendant ma carrière : le conseil en fusion-acquisition, le conseil en levée de fonds et l’investissement, notamment sur le segment de l’innovation.

Je démissionne alors et je me lance en ayant le luxe d’avoir Suma Capital comme client. Souvent, je rencontre des femmes qui ont quitté leur job dans une volonté de rupture, et de recherche de sens. Dans mon cas, j’ai eu le confort de continuer à faire ce que je faisais chez Suma Capital, en étant externalisée, tout en ajoutant des activités que j‘avais pu exercer auparavant.

Aujourd’hui, et même si cette approche est rare dans des petites structures comme la mienne, j’ai pérennisé ces trois métiers pour mon plus grand bonheur car ils me nourrissent et peuvent avoir des synergies entre eux. J’aime l’idée de ne pas me cloisonner ni me limiter.

 

 

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans le fait d’être entrepreneure ?

Une liberté totale et zéro politique ! Chez Aticeo, nous sommes à 100 % dans l’opérationnel. J’aime voir les choses se concrétiser, sans avoir besoin d’être reconnue par un titre ou une promotion. Je prends simplement du plaisir à faire ce que je fais dans le respect de mes convictions notamment en ce qui concerne l’investissement à impact. Le fait de ne pas avoir à consacrer la moindre minute de mes journées à de la politique interne me fait gagner du temps et me permet de profiter d’un équilibre familial qui me convient.

Je ne cherche pas à investir dans de grosses sociétés avec de gros tours de table qui font la une de la presse.

J’éprouve de la joie à accompagner des dirigeantes – souvent, les sociétés dans lesquelles nous avons investi, comme Librinova ou MiCuento, ont été créées par des femmes – et des dirigeants, avec qui je développe une relation de confiance. Ces projets me galvanisent, parce qu’ils sont faits de sueur, d’inventivité et de conviction. Je n’aurais pas pu les soutenir lorsque j’étais en banque d’investissement parce qu’ils étaient trop petits pour ces structures.

Le fait de n’avoir personne à consulter, aucun comité d’investissement à convaincre avant de faire un chèque pour soutenir ce genre de projets me procure un plaisir immense, qui est décuplé quand je vois l’impact qu’ils ont concrètement auprès de ceux qui utilisent leurs services.

 

 

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez à faire face ?

Pendant les premières années, il s’agit déjà de pouvoir vivre de son business. Pour ma part, comme je voulais garder ma liberté, je me suis entièrement autofinancée. J’ai donc dû faire preuve d’une rigueur de gestion extrême. Il faut bien reconnaître que cela n’a pas toujours été évident, pour autant, aujourd’hui je savoure le fait de n’avoir si dettes ni obligation envers quiconque, ce qui me confère une liberté immense.

Il est difficile de trouver ses premiers clients, de les convaincre, et de se faire payer au juste prix, alors qu’on est sur un marché très concurrentiel. Au début, les clients qui me demandaient de travailler gratuitement étaient légion ! Face à cela, j’ai essayé de faire preuve de rigueur sur le plan tarifaire et je n’ai jamais hésité à dénoncer des contrats qui m’enfermaient trop pour me consacrer à des dossiers à meilleur potentiel.

La deuxième difficulté est de recruter des talents, chose que je ne mesurais pas en travaillant à la Société Générale à Londres où nous recevions des centaines de CV par mois ! Or, quand on est une petite structure, il y a un travail énorme à faire pour attirer les candidats, aussi bien juniors que seniors. J’observe toutefois que de plus en plus de profils cherchent un sens à leur travail et peuvent, dès lors, être attirés par des structures plus petites. Il y a un premier moment charnière après 2 ou 3 ans passés en banque d’affaires ou en cabinet de conseil, avec des salaires certes très confortables mais un rythme de travail exténuant ; un deuxième moment de remise en question à la trentaine, surtout pour les femmes d’ailleurs, qui ont des jeunes enfants ou envie de fonder une famille. Enfin de nombreux profils de 40 à 50 ans se retrouvent malgré eux sur le marché du travail, et sont donc à la recherche d’horizons professionnels différents.

J’ai compris avec le temps qu’il existe d’autres formes de collaboration possibles, autres que le salariat. Certains profils viennent aujourd’hui vers Aticeo, en tant qu’indépendants, avec quelque chose à proposer, pour un moment donné, et sans vouloir être salarié de l’entreprise mais en trouvant un épanouissement dans la collaboration. Je trouve beaucoup de plaisir dans l’interaction avec ces profils, avec qui je partage les mêmes valeurs, la même volonté d’avancer, d’arriver à un résultat, sans pinailler. Je crois beaucoup à ces modèles ouverts, avec des jonctions, des bouts de chemins choisis et parcourus ensemble.

 

 

Quelle est votre stratégie de développement, comment a-t-elle évolué avec le temps ?

Ma stratégie géographique est très claire :  ce qu’on fait bien entre la France et l’Espagne, j’aimerais le faire entre la France et l’Angleterre, ou l’Allemagne et, à terme, à un niveau paneuropéen. J’ai la chance de pouvoir travailler en 3 langues et j’aime intégrer cette dimension avec mes équipes.

Ensuite, j’ai la volonté d’augmenter la taille des entreprises avec lesquelles nous collaborons, sachant qu’actuellement la plupart des PMEs que nous conseillons ont des revenus de 100 à 200 millions et que nous pourrions travailler avec des ETIs.

Enfin, à l’instar du sillon que j’ai creusé dans l’ed-tech, j’aimerais diversifier nos secteurs d’expertise, en allant par exemple vers une expertise en cosmétique naturelle et « bio » ou en « nutri-cosmétique ».

Je suis confiante sur ces perspectives de développement car je ne pars pas d’une feuille blanche. J’ai fait mes preuves, je capitalise sur 25 ans d’expertise dans le milieu de la transaction multinationale, sur un réseau européen et international. Et je commence à avoir de belles histoires à raconter grâce à tout ce que nous avons construit avec Aticeo depuis 4 ans.

 

 

Si vous deviez donner un conseil à quelqu’un qui veut se lancer, quel serait-il ?

Lancez-vous dans quelque chose auquel vous croyez, si possible dans l’économie réelle, et faites que ce soient vos clients qui financent votre croissance : ce sera la meilleure preuve que votre entreprise est viable.

 

 

Quel est votre meilleur souvenir d’entrepreneure ?

Le jour où un client que j’avais accompagné sur le volet fusion-acquisition m’a demandé de passer au board de la société que je les avais aidés à acheter, alors que je n’avais rien demandé. C’était une belle preuve de leur confiance envers Aticeo, qui m’a beaucoup touchée.

Au quotidien, je suis fière de réussir à faire de la finance à ma manière.

J’aime mon métier sur le plan intellectuel, mais j’ai toujours été gênée par tout ce qui l’entoure, et que j’appelle les oripeaux et fioritures, à savoir les signes extérieurs de richesse, associés à une façon d’être qui manque souvent de bienveillance et d’humilité.

Au-delà des discours souvent creux et du « greenwashing », j’ai essayé de montrer depuis 4 ans qu’on peut faire de la finance autrement. On peut être un ou une excellent.e professionnel.le, tout en restant dans la simplicité, on peut accepter une part de défaillance et reconnaître ses erreurs. On peut faire de la finance à impact à 100%, c’est-à-dire aussi bien dans nos choix d’investissement que dans notre façon d’être et de faire.

Il me semble que les faits parlent en ma faveur puisqu’au bout de 4 ans, seule une des entreprises dans lesquelles j’ai investi a fermé, à cause de l’épidémie de Covid, tandis que toutes les autres sont en croissance, et certaines d’entre elles sont même déjà rentables.

 

Nous remercions Anne Gallet, de nous avoir accordé cette interview. Vous pouvez la suivre et échanger avec elle sur son profil Linkedin.